Aliénation
Dès sa venue au monde, le sujet est pris dans un entrelacs de mots qui l’entourent. Ces mots sont des “signifiants”, dont le sens ne sera perçu qu’après-coup chez le petit enfant. L’enfant entend son nom et son prénom, ceux de ses proches, les mots d’amour qui le définissent, les histoires qu’on lui raconte, les mots pour décrire ses frères, son père, sa mère, la société, le monde, le sens de la vie. Des mots pour, enfin, lui dire comment se comporter. Ces mots reçus – ces signifiants – s’associent à des émotions, des images, des représentations. Les sonorités des signifiants valent parfois pour elles-mêmes, sans que le sujet ne saisisse bien de quoi il s’agit. Ce système complexe de signifiants et d’associations produit un certain rapport au monde. En fonction de ce qui aura été dit, je ne verrai pas le monde de la même manière.
Le sujet est ainsi parlé avant même de parler. Il est représenté par un ensemble signifiant. À cet état de fait correspond une coupure, une perte, un manque-à-être fondamental. Car il y a toujours un écart entre ce qui est dit de moi et ce que je suis, entre ce que l’on attend de moi et ce que je suis, entre ce que je dis de moi et ce que je suis. Il y a surtout un écart entre la représentation que j’ai de ce que je suis et ce que je suis. Rien, aucune formule n’est jamais suffisante pour me saisir dans mon entièreté. Cette entièreté de mon être m’est d’ailleurs inaccessible.
Cette condition du sujet, qui ne peut pas ne pas se plier à la vie langagière et à l’Autre (sa loi, son désir, son fonctionnement), dont il participera le plus souvent volontairement, est notée $ par Lacan. Pourquoi $? C’est le S barré, autrement dit le sujet, frappé par une barre de discours qui vient le diviser, par le discours de l’Autre qui l’aliène.
Tantôt le sujet a-t-il le sentiment d’être en phase avec lui-même et de dominer la situation, tantôt se sent-il déphasé, ne comprend pas ce qui lui arrive et est dépassé par le monde. La psychanalyse ne considère pas la division du sujet comme une déficience ou une faiblesse à surmonter, mais au contraire, comme le propre de la condition humaine qu’il convient d’assumer pour mieux vivre.