Séparation (I)

En psychanalyse lacanienne, la séparation est le pendant de l'aliénation.

Tout sujet est pris dans un double mouvement d'aliénation et de séparation : le petit enfant croit au départ pouvoir combler le désir de l'Autre ; il vit pour l'Autre, il en est l'objet, il en répond. On dit qu’il est aliéné par l’Autre. Toutefois, progressivement, il découvre que le désir de l’Autre n'est pas entièrement tourné vers lui et qu'il n'est pas tout pour l'Autre. Cet autre mouvement est appelé la séparation.

Un petit enfant joue avec sa mère et l’amuse en faisant des grimaces. Il la fait rire et se sent l'objet de son attention. Mais, à un moment, la mère cesse de rire, elle regarde ailleurs et se met à rêver. L’enfant insiste : « Regarde maman ! », mais elle est ailleurs. Elle n'est ni fâchée, ni absente physiquement. L'absence se situe au niveau du désir. À quoi pense-t-elle ? À son travail, à un souci, à un autre ?

Voilà une limite que rencontre l'enfant : là où il pensait pouvoir toujours la combler, il la trouve en fait manquante. La mère porte son désir au-delà de l’enfant, et malgré la présence de l’enfant, la mère est en recherche. Le rapport fusionnel entre la mère et l’enfant apparaît pour ce qu’il est : impossible.

De la même manière, la place du sujet venant combler la mère manquante est interrogée. « Si je ne suis pas l’élément pleinement attendu, si l’Autre cherche satisfaction dans des objets extérieurs, quel est le sens de ma présence au monde ? » se demande l’enfant, surpris par le glissement d’intérêt de sa mère. Surgit alors le manque-à-être. Je ne sais pas ce que je fais ici, il me manque un sens à mon existence. Aussi, par la séparation, c’est tout aussi bien le sujet qui se perçoit lui-même comme manquant et à la recherche de son propre désir, un désir distinct du désir de l’Autre.

Cette dynamique de la séparation produit donc de la subjectivité et de la liberté, au sens qu’elle désaliène. Mais elle laisse aussi un espace pour la névrose : la névrose cherche à recréer du plein à partir de la faille laissée par la séparation. La névrose compense par différents moyens (angoisse, inhibition, répétition…) l’illusion d’une complétude laissée en suspens par la séparation.